A propos de Vincent Lambert…

J’ai vu dernièrement l’interview de Rachel Lambert, à la suite de son plaidoyer pour que les médecins fassent* mourir son mari dans le coma depuis cinq ans.

J’imagine la souffrance de cette femme qui voit son mari dans un état de totale dépendance et sans le moindre espoir d’amélioration. Je sais comme il est facile d’avoir des opinions bien arrêtées sur tel ou tel problème quand on n’est pas directement concerné. Aussi, je ne saurais juger cette épouse qui souffre, et encore moins la condamner.

Mais je voudrais rappeler le témoignage d’Anne Lambert et David Philippon, la sœur et le demi-frère de Vincent, publié dans le Figaro du 5 septembre dernier sous le titre « Qui peut dire que Vincent veut mourir ? »

Selon ces derniers, Vincent n’est pas un « légume ». Il est en « état d’éveil sans réponse». « Il dort, se réveille, suit parfois son entourage des yeux, réagit à certaines sollicitations, n’est branché à aucune machine, ne reçoit aucun traitement qui le maintiendrait en vie. Vincent n’a besoin que d’être nourri et hydraté. »

Ils écrivent : « Ce n’est pas parce que Vincent a une conscience altérée qu’il n’est plus un homme. À ce compte, il faudrait se débarrasser des handicapés mentaux et des déments au lieu d’en prendre soin. »

Nul ne peut décider de la mort d’une personne parce qu’elle est gravement handicapée.

L’état de Vincent est certes une lourde épreuve pour sa famille. Mais n’est-ce pas la grandeur et l’honneur d’une société que d’accompagner jusqu’au bout ses membres touchés par la maladie ? Nous avons des exemples dans la préhistoire où des personnes gravement handicapées ont continué à vivre près des leurs. Serions-nous moins humains que nos lointains ancêtres ?…

Qui peut dire que Vincent veut mourir? Personne.

Anne Lambert et David Philippon poursuivent : « Alors pourquoi lui infliger toutes ces maltraitances, pourquoi lui refuser depuis deux ans la kinésithérapie de confort qui constitue une exigence de soin de base, pourquoi ne lui faire aucune stimulation sensorielle, pourquoi ne lui donner comme seul horizon que le plafond de sa chambre sans le mettre chaque matin dans un fauteuil moulé sur mesure, comme l’exigent les bonnes pratiques? Pourquoi refuser qu’il puisse sortir et le laisser enfermé sous clé, dans sa chambre, comme un prisonnier dans le couloir de la mort? »

Je partage la souffrance de la famille de Vincent, et je veux dénoncer ici la désinformation de nombreux médias et de partisans de l’euthanasie.

Je suis fermement opposé à l’acharnement thérapeutique et refuse également la facilité de l’euthanasie. Notre devoir n’est-il pas d’entourer le plus possible de notre présence, de notre affection, nos proches touchés par un mal sans espoir de guérison. De tout faire, bien sûr, pour alléger au maximum leurs souffrances physiques – même si ces traitements contre la douleur peuvent abréger leurs jours.

La grandeur et la gloire de l’homme, après être parvenu à vaincre la souffrance physique, c’est d’entourer moralement ses malades. De leur dire, par une simple présence quand il nous semble que la parole ne les atteint plus, qu’ils ont toujours leur place parmi nous. Que nous les aimons et que nous serons près d’eux lors de leur passage dans le mystère de l’Eternité.

Je ne sais pas si la Bible est un Livre inspiré ou non. Mais le « Tu ne tueras pas » reste pour une humanité en désarroi, le rempart irremplaçable pour la défense de la vie. La vie est pour moi est quelque chose de sacré, la plus belle chance qui nous soit donnée par Dieu, le Destin, ou le Hasard – c’est selon – alors respectons-la dans ses moments de joie, comme dans ses épreuves douloureuses.

* Je dis bien « fassent » mourir parce que « Vincent n’est branché à aucune machine, ne reçoit aucun traitement qui le maintiendrait en vie. Vincent n’a besoin que d’être nourri et hydraté »

Acharnement thérapeutique et euthanasie…

Il est facile, quand on n’est pas concerné directement par un problème, d’avoir des opinions tranchées et sans appel. Ainsi en est-il de l’euthanasie dont le Sénat doit discuter à nouveau ce 25 janvier.

Le respect sacré que nous devons avoir pour la vie, pour toute vie, nous invite à condamner une telle pratique. Et d’ailleurs, l’euthanasie est un mal moderne, une rançon de la civilisation. Dans la Préhistoire, nos lointains ancêtres prenaient soin des membres handicapés de leur communauté. On a trouvé, voici quelques années, dans la grotte de Shanidar, au Turkestan, les vestiges de neuf néandertaliens. L’un d’eux, portait des marques de blessures graves. Seule la solidarité des hommes de son clan lui permit de survivre. Ces derniers auraient pu l’abandonner ou le tuer. Ils ne l’ont pas fait et nous donnent un bel exemple de solidarité à l’aube de l’humanité.

Le problème se pose, en fait, avec acuité depuis que la médecine peut reculer indéfiniment la mort, et la frontière entre acharnement thérapeutique et euthanasie est ténue.

Si une personne endure des souffrances physiques et morales qu’on ne peut adoucir, dont on sait que son mal est incurable et qu’elle ne vit que par des subterfuges artificiels, si cette personne a encore sa conscience et demande à mourir, ou si elle n’a plus sa conscience mais a manifesté la volonté de mourir quand elle serait dans un tel état, faut-il dans une telle situation tout faire pour la maintenir en vie ?…

La question est tragique et ne peut obtenir qu’une réponse collégiale : celle de l’équipe médicale qui la soigne (médecins et infirmières) et celle de la famille. Ce n’est qu’au terme d’un accord entre tous qu’on peut accepter – à mon avis –de mettre un arrêt à ce qui n’est qu’une survie. Mais, l’acte est grave et ne doit en aucun cas être banalisé.

Mais attention à ne pas tomber dans l’euthanasie de confort, à celle qui consiste à donner la mort parce que le malade devient une charge trop lourde pour les proches et pour la société, ou – le danger est réel – parce que les héritiers sont pressés de toucher l’héritage !…

La souffrance fait partie de la vie, il faut tout faire pour l’atténuer, mais savoir aussi l’accepter. La personne qui souffre, qui est profondément diminuée physiquement et intellectuellement, reste un personne humaine et a droit au respect de tous.

Et puis attention aussi – le danger est grand – aux dérives d’eugénisme. Les horreurs des nazis – qui supprimaient les handicapés, les homosexuels, ceux qu’ils appelaient les « sous-hommes » – doivent rester dans toutes les mémoires.

Pour résumer, la sagesse, je crois est de dire non à l’acharnement thérapeutique, dans des cas bien précis et bien cadrés, et non aussi à l’eugénisme. Que l’on soit croyant ou non, la Vie est quelque chose de sacré et son respect doit toujours primé, quelles que soient les peines, les souffrances qu’il nous impose.

L’euthanasie s’apparente au désespoir et jusqu’au bout une vie a du prix pour les autres. Et le problème de l’euthanasie est peut-être surtout celui de la souffrance. Une fois la souffrance supprimée, les demandeurs y renoncent la plupart du temps…

Et finalement, ce qui importe le plus, ce serait que le malade en fin de vie puisse être entouré par des proches ou des infirmières ayant du temps à lui consacrer – ce qui n’est hélas plus le cas dans nos hôpitaux qui ne sont maintenant que des entreprises n’ayant qu’un seul but, la rentabilité ! – et qu’il puisse choisir, quand sa vie n’est plus qu’un fil ténu, le moment de sa mort.

Quelle belle mort pour moi, que celle de cet oncle âgé de quatre-vingts ans, hospitalisé pour des problèmes cardiaques, veillé par son épouse et ses enfants, qui un soir ou un matin – je ne sais plus – dit simplement à son épouse : « C’est fini. » et s’est éteint sereinement au même moment. Il avait choisi lui-même, l’heure où retourner dans l’Eternité.

Je sais combien il est difficile de parler de tout cela sans passion, et une fois encore, je ne prétends pas détenir La Vérité. Il y a dans ce domaine que des cas particuliers qui doivent être examinés avec sagesse et humanité, mais aussi sans complaisance.