Poème envoyé par une amie,
que je trouve très beau et très profond
et que je suis heureux de faire partager à mes lecteurs.
Le vieux châtaignier
Je suis un très vieux châtaignier
Hors d’âge j’ai franchi plusieurs siècles
Mais voyez comme ma vie s’émiette
Alors à quoi bon s’acharner
Je vous supplie de respecter
Mes toutes dernières volontés
Puisqu’il me semble que mourir
Est bien plus digne que souffrir
Je veux que l’on me tronçonne
Et qu’on me laisse partir en paix
Plus aucune chance que je bourgeonne
Alors à quoi bon s’acharner
Les arbres souffrent comme les hommes
Quand il s’agit de s’en aller
Pourquoi alors me faire traîner
En élaguant des branches usées
Les cœurs d’amants sur mon écorce
Depuis longtemps sont effacés
Les nids d’oiseaux sont désertés
Comme cette cabane faite par des gosses
Leurs cris joyeux ont disparu
Les randonneurs ne se penchent plus
Pour ramasser quelques châtaignes
Qui sont pourries et mon cœur saigne
J’ai connu l’époque des photos
Quand on disait que j’étais beau
Quand je servais de parasol
Et que sifflait le rossignol
L’hiver dernier fut un enfer
Je n’étais plus ce géant vert
J’ai entendu mon tronc craquer
Pour la première fois j’ai pleuré
Souhaitant qu’on vienne m’achever
Que l’on fasse du bois à brûler
De ma carcasse qui fait pitié
Végétal, animal, humain
Quand arrive le bout du chemin
On vit encore dans la mémoire
De ceux qui ont su nous aimer
Et de ceux que l’on a aimés
Je me plais du moins à le croire
Et quand vous passerez le soir
Sur la trace de l’arbre disparu
Faites-moi un signe un au-revoir
Et rappelez-vous le soleil
Qui se couchait dans ma ramure
Et son écharpe couleur d’orange
Flottant doucement dans le vent
Sous la caresse d’un ciel étrange
Poème publié dans le journal de l’ADMD
(Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité)
n°144 de juin 2018, sous le titre : « Directives anticipées d’un vieil arbre »,
avec pour auteur Bernard Seghers – La Roche-sur-Yon.