Doit-on, parce que des dizaines de milliers de migrants fuient la famine et les guerres, dans des embarcations de fortune, hommes, femmes et enfants, condamnés à la misère, mus par l’espoir de terres plus accueillantes que bien souvent ils n’atteindront pas, doit-on pour autant, à cause de cette misère si criante et si injuste, renoncer au plaisir d’une croisière en mer Méditerranée ou dans les Caraïbes ?
Cette question s’impose à moi avec force, ce soir, quand je vois qu’une croisière est offerte au couple dont nous fêtons l’anniversaire, et quand je vois que plusieurs couples de la fête reviennent de croisière ou s’apprêtent à y partir.
Cette question n’est pas nouvelle pour moi, et souvent je me la pose : peut-on être heureux, peut-on goûter le bonheur quand tant d’hommes sont dans le malheur ?
Et chaque fois la même et insatisfaisante réponse me vient à l’esprit. Renoncer à tous les plaisirs de la vie ne supprimera pas d’un pouce la misère du monde et, qui plus est, les plaisirs que nous consommons, participent, en aval, à la vie économique du monde et au mieux-vivre de bien des gens en leur assurant un emploi, fût-il petit.
Il n’importe, j’aurai toujours le plus grand mal à être heureux tant qu’il y aura une personne dans le malheur ici-bas.
Mon drame, c’est de ne pas accepter l’injustice et de croire de moins en moins en une justice divine qui compenserait, dans l’Au-delà, les injustices de ce monde.
Je pense cependant qu’il ne faut pas bouder des plaisirs que peuvent nous apporter les jours. Et ma ligne de conduite est d’user avec modération de ces plaisirs, en restant toujours sensible aux souffrances de ceux qui m’entourent, en pleurant avec ceux qui pleurent, et surtout en essayant de leur communiquer ma joie de vivre, et de faire naître sur leurs visages attristés un sourire, fût-il fugitif.