Un magnifique soleil inonde cette première journée de printemps. Une lumière vive et une chaleur délicieuse emplissent notre séjour.

Le bourdonnement d’une mouche se fait entendre. L’insecte va et vient dans la pièce, puis finit pas se jeter sur la baie vitrée, qui la sépare de l’extérieur. Il bute contre cette frontière invisible qu’il voudrait franchir à tout prix pour rejoindre l’immensité des espaces ensoleillés.

La mouche va. Vient. Recule puis revient et se heurte plus fort encore contre l’obstacle. Elle insiste. Son intelligence de mouche – ou plutôt son instinct – ne lui permet pas de comprendre pourquoi son vol est entravé en cet endroit.

Elle insiste et insiste encore, et va sans doute mourir d’épuisement devant cette invisible et infranchissable barrière.

C’est alors que se produit le miracle, c’est-à-dire cet événement que son intelligence de mouche ne peut comprendre et qui va la sauver.

Il se trouve que je n’ai jamais pu supporter de voir souffrir le moindre être vivant, quelle que soit sa taille. A tel point qu’il m’arrive souvent, en période de pluie, de remettre sur une plate-bande un escargot ou un simple ver de terre égarés sur le goudron d’un trottoir.

J’ouvre donc la baie vitrée. Mais la mouche veut forcer le passage en se collant contre la partie fermée. Il me faut donc prendre un journal et, après bien des efforts, je réussis à la mettre sur le chemin de la liberté.

Si cette mouche pouvait parler, elle raconterait sûrement à ses congénères son aventure extraordinaire : une barrière invisible qui se dressait devant elle, qu’elle n’arrivait pas à franchir, et derrière laquelle elle allait sans doute mourir. Puis soudain, le miracle : l’obstacle infranchissable a disparu !

Elle ignore à qui ou à quoi elle doit son salut. Mais elle l’attribuera au Hasard, à la Chance, à la Providence, voire au Dieu des mouches dont j’aurai été l’humble instrument.

N’en est-il pas de même pour nous, les hommes, à propos des phénomènes qui dépassent notre intelligence, le dénouement heureux et inattendu de telle ou telle situation, une guérison inespérée, etc.

Là où l’athée et l’agnostique ne verront que Chance et Hasard, je veux voir la main d’un Dieu d’Amour, la Providence bienveillante d’un père pour son enfant.

Je sais pertinemment qu’en progressant sans cesse, la science finit par expliquer bien des phénomènes, et que ce qui paraît miracle aujourd’hui trouvera une explication parfaitement rationnelle demain.

Qu’importe ! Je sais aussi que nul ne pourra jamais m’expliquer le miracle de la Vie, ni le miracle de l’Amour. L’indicible bonheur d’aimer et d’être aimé. Et à défaut d’autre mot, j’en attribue humblement la paternité à la Providence et à Dieu, qui accompagnent inlassablement et fidèlement mes pas depuis bientôt soixante-sept ans, et à cette petite étoile du ciel qui brille dans mon cœur, sous les ciels clairs comme dans les nuits le plus sombres.

PS : Rendons à César ce qui revient à César : cette chronique a été inspirée par un article de Rémi Brague intitulé « Le Seigneur des mouches » et paru dans le Monde des Religions de novembre-décembre 2013