Des amis internautes sont étonnés que je n’aie rien écrit sur les affaires Vincent Lambert et Nicolas Bonnemaison, qui interrogent et divisent la France. La raison de mon silence est simple : il s’agit là de questions d’une extrême gravité, pour lesquelles je suis partagé, et sur lesquelles il me semble difficile d’avoir un avis tranché, lorsqu’on n’est pas directement concerné.

Je vais cependant essayer d’exposer en quelques lignes ici mon point de vue.

Je suis partisan d’alléger le plus possible les souffrances des patients, et s’il est un Dieu d’Amour, je ne crois pas que ce soit aller à son encontre que de le faire. Et je condamne sans appel le dolorisme de l’Eglise d’une certaine époque. Le Dieu auquel j’essaie de croire, n’aime pas et n’encourage pas la souffrance.

Aussi, il me semble que lorsqu’il n’y a plus le moindre espoir de sauver une personne en grande souffrance, le médecin peut – a le devoir ? – de tout faire pour soulager ses souffrances, même si les médicaments qu’il lui administre peuvent abréger sa vie.

Mais le médecin a aussi le devoir de tout faire pour protéger la vie, et à partir de quel moment doit-on décider qu’un patient est perdu ?…

La question se pose de façon beaucoup plus déchirante de nos jours que dans le passé, car la médecine a les moyens de prolonger la vie de plus en plus longtemps, et la frontière entre la vie et la mort est de plus en plus ténue.

J’ai la conviction qu’un patient dans le coma – même dans un coma profond – entend tout ce que l’on dit autour de lui. Doit-on, parce qu’il n’y a plus le moindre espoir de le sortir de son coma, le faire mourir ?…

C’est là une question très grave qui, me semble-t-il, ne peut être tranchée que s’il a donné ses volontés avant de sombrer dans le coma, et après que le médecin eut consulté ses proches et l’équipe soignante.

Le drame, dans l’affaire Bonnemaison, c’est que, à ma connaissance, ce médecin a donné la mort de sa propre initiative, sans consulter son équipe ni les familles de ses patients. S’il en est ainsi, je pense qu’il mérite une peine et j’approuve le parquet d’avoir fait appel de son acquittement.

Personnellement, s’il m’était permis de choisir ma mort, je souhaiterais m’éteindre tout doucement, en pleine conscience, comme la flamme d’une bougie dont la cire arrive à épuisement, et entouré de quelques proches.

Et en tout cas, je ne voudrais à aucun prix qu’un médecin comme le docteur Bonnemaison prenne l’initiative d’hâter ma mort, même si je souffre…

En ce qui concerne l’affaire Vincent Humbert, j’estime que la Justice est consultée sur une affaire qui concerne avant tout la famille et l’équipe soignante. Et il est vraiment affligeant que la famille se déchire comme elle se déchire.

Et, à supposer que la famille et l’équipe médicale soient d’accord pour ne pas prolonger la vie de Vincent Lambert, je crois savoir que ce jeune homme avait été « débranché » pendant une trentaine de jours dans le passé, et a continué, malgré tout, à vivre !… Alors que doit-on faire ?…

Tout cela est très délicat, et j’en parle avec la plus grande réserve. A priori, la loi Léonetti me semble une très bonne loi, qui répond à presque tous les cas des malades en fin de vie. Restent des cas particuliers qui doivent être traités chacun au cas par cas, et qui ne doivent pas remettre cette loi en question.

Avons-nous enfin le droit de décider de notre mort ? Doit-on donner les moyens de se suicider à des personnes en grande souffrance physique et morale ?

Cela me semble contraire à la vocation du médecin protecteur de la vie. Et le commandement biblique, « Tu ne tueras pas » doit nous écarter de cette tentation qui marque un échec.

Le drame, c’est celui de la solitude, d’une absence de liens d’affection qui nous relient au monde. C’est le drame d’hommes ou de femmes qui ne comptent plus pour personne, qui ne se sentent plus aimés de personne, ou n’aiment plus personne.

Le médecin, comme je le disais au début de cette chronique, a le devoir de tout faire pour soulager la souffrance. Et peut, quand il n’y a plus d’espoir de sauver un patient, lui administrer un traitement antidouleur même si ce traitement risque d’abréger sa vie.

Mais peut-il donner les moyens de se suicider à une personne en mal être ? Il me semble que non. Nous ne décidons ni du jour ni de l’heure de notre naissance. Nous n’avons pas davantage à décider du moment de notre mort. Et notre devoir à tous est d’entourer le plus possible de notre affection et de notre amitié, les personnes en mal être, de leur redonner un peu de bien-être, un peu de goût à la vie.

Autoriser l’aide au suicide, c’est ouvrir la boîte de Pandore. C’est risquer d’entraîner bien des abus, c’est ouvrir la mort à des personnes qui ont encore leur place dans le monde.

Nous sommes porteurs d’une vie dont nous ne connaissons ni l’origine, ni la fin. Nous ne sommes pas toujours sûrs que la Vie ait un sens, mais chacun de nous peut donner un sens à sa vie. En l’ouvrant aux autres, en œuvrant pour la Justice, la Paix, la Fraternité… Alors ne gaspillons pas cette chance unique. La chance unique de vivre, d’être, quand nous aurions pu ne pas être !…