L’homme, assoiffé de liberté, puisant ses forces dans les sciences et la technique, veut se passer de Dieu. Il réserve cette antique croyance à des demeurés ou des fondamentalistes parmi lesquels je ne me reconnais pas. Et il n’y a plus sectaires que les athées qui prétendent être les seuls à détenir la Vérité.
Mais quand je vois ces millions d’hommes qui honorent la dépouille d’un des leurs – que ce fut le pire ou le meilleur des hommes – je me dis que l’homme ne peut se passer de dieux.
Cinq millions de Soviétiques, en mars 1953, défilant devant la dépouille du « petit père des peuples » qui avait trucidé quinze millions d’entre eux !
Cinq millions d’Egyptiens, en 1970, qui se bousculaient aux obsèques Gamal Abdel Nasser.
Trois millions de Britanniques, le 6 septembre 1997, pour accompagner Lady Di à sa dernière demeure.
Plus d’un million de chrétiens en 2005 pour assister à Rome aux obsèques du pape Jean-Paul II.
Et maintenant deux millions de personnes en pleurs qui défilent devant le cercueil d’Hugo Chavez, à Caracas!
Ces élans collectifs, ces pleurs, ces désespoirs, pour honorer les meilleurs d’entre nous comme les pires racailles, font partie de l’histoire et de l’âme humaines. Ils naissent d’une profonde émotion et traduisent le besoin, pour le commun des mortels, de se rattacher à quelque chose ici-bas.
A défaut d’honorer un Dieu dans le ciel, transcendant, et sans défaut, on fait d’un mortel un dieu auquel on attribue toutes les qualités.
Il est juste de rendre hommage à nos morts. Il est juste de leur témoigner notre amitié. Notre affection. Mais, comme en toute chose, il convient de raison garder et de conserver une certaine mesure.
Or ces manifestations de foules qui semblent envoûtées, ces scènes d’hystérie dont elles s’accompagnent souvent, échappent à la raison, traduisent l’angoisse de tout homme face à la mort, et la part d’irrationnel qui demeure au plus profond de lui-même.